Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/60

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Il laissa tomber ses bras, fronça les sourcils, se contraignant à ne pas pleurer, mais une douleur immense l’écrasait. Pourtant il réagit, se redressa et sortit en criant :

— Une chaise de poste ! Vite ! Attelez ! Un postillon !…

Peu après, le colonel Cardignac roulait sur la grand’route.

Trente-six heures plus tard, il arrivait à Saint-Cyr.

Mais ce que, pendant le cours de son voyage, il avait prévu et redouté, s’était, hélas, réalisé ?

Sa femme avait, elle aussi, appris la terrible nouvelle, et le choc avait été si rude que le colonel la trouva étendue dans son lit, entourée de son père et de sa mère ainsi que de son fils, le lieutenant d’artillerie Jean Cardignac, qui, à l’annonce de la catastrophe, avait obtenu une permission.

Pendant vingt-quatre heures, le médecin avait cru à un transport au cerveau qui devait fatalement amener la mort. Pourtant, les soins énergiques prodigués à Mme  Cardignac par son père et sa mère, Jacques et Catherine Bailly, — deux beaux veillards que les ans n’avaient point courbés — amenèrent une détente.

Le lendemain, la malade avait recouvré la parole, et la vue de son fils Jean, qui venait d’arriver, avait amené chez elle une crise de désespoir salutaire, car le dicton populaire est vrai : «  les larmes soulagent ».

Oh ! qu’elle en avait versé d’amères larmes, la pauvre mère !

— Hélas ! quel malheur, mon Jean… balbutiait-elle. Quel malheur qu’il soit parti, mon Henri, pour cette fatale expédition !… Oh ! mon cœur est brisé !… broyé pour toujours… car, je le sens, on me l’a tué !… Je ne le reverrai plus jamais… jamais !

Pleurant, lui aussi à chaudes larmes, Jean calma sa mère : l’entourant de ses bras, le jeune officier intervertit les rôles, et ce fut un touchant spectacle que celui de ce grand garçon à moustache blonde, élégant comme son frère, s’efforçant de refouler les larmes qui coulaient de ses yeux bleus, profonds et un peu rêveurs, et berçant contre son épaule la tête aux cheveux blancs de sa mère, comme si elle eût été un petit enfant.

— Il reviendra, mère ; ne pleure pas ainsi. Est-ce que, père aussi, nous ne l’avons pas cru mort plus d’une fois ?

Et prenant à témoins son grand-père et sa grand’mère :

— N’est-ce pas vrai ? Dites-le-lui, puisqu’elle l’a oublié ! Est-ce que père