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n’a pas été prisonnier des Anglais, prisonnier des Russes, prisonnier des Prussiens, et n’est-il pas toujours revenu ?

— Mais oui ! mais oui, tu as raison, mon Jean, répondait Catherine, affectant une confiance et une fermeté qu’elle était, au fond, bien loin de posséder elle-même.

Ces tendresses ramenèrent un peu de calme dans le cœur de la pauvre mère, mais lorsque le colonel arriva, elle eut une crise de désespoir terrible.

Jean Cardignac qui s’était juré d’être calme, ne put tenir sa promesse. Il fondit en larmes, lui aussi, et le père et la mère s’étreignirent en sanglotant.

À partir de ce jour, une tristesse morne s’empara des habitants de la petite maison de Saint-Cyr, tristesse, il faut le dire, mêlée malgré tout d’espoir, car l’âme humaine ne peut s’en passer. Le cœur d’un père et d’une mère surtout gardent cet espoir jusqu’à la dernière seconde, jusqu’à ce que l’évidence cruelle et brutale vienne l’éteindre à jamais !

Et tous les jours, laissant sa femme aux soins de Catherine, le colonel faisait atteler son cabriolet et partait pour Paris avec son beau-père.

Ils se rendaient au ministère de la Guerre, puis au ministère de la Marine, quittant l’un pour revenir à l’autre, espérant anxieusement, à chaque heure qui s’écoulait, qu’une dépêche d’Alger viendrait les tirer du doute obsédant, de ce doute, plus terrible souvent que la certitude elle-même.

Mais rien ne venait ! On en était encore à la première dépêche, annonçant la captivité des passagers du Silène et de l’Aventure ; aussi chaque soir rentraient-ils à Saint-Cyr, la mort dans l’âme.

Enfin, on apprit au Ministère que le Dey Hussein avait envoyé, par parlementaire, un ultimatum menaçant, en ce qui concernait les prisonniers.

Cette nouvelle n’était pas faite pour tranquilliser le colonel ; pourtant elle apportait une atténuation à la souffrance de tous, car la dépêche donnait les noms des officiers et sous-officiers prisonniers.

Mme  Cardignac lança vers Dieu un cri de fervente reconnaissance : son Henri vivait !

Et Jean, venu en permission un dimanche, la trouva un peu réconfortée.

Il avait du reste, en passant à Paris, appris la réponse du général de Bourmont à l’ultimatum du Dey.