Sauvage, pour arriver à remplacer les roues à aubes de nos quelques navires à vapeur par un propulseur nouveau : l’hélice.
Henri s’était penché vers le dessin. Le colonel Cardignac souriait silencieusement.
— Alors, s’écria le lieutenant de spahis après examen, tu émets la prétention que cette mécanique, en forme de cuiller, va faire marcher une frégate ?… Allons donc !
— J’ai, ou plutôt nous avons cette prétention, M. Normand et moi.
Le cavalier, un peu ahuri par l’assurance de cette réponse, regarda son frère avec l’attitude de condescendance qu’on prend vis-à-vis des rêveurs ; puis :
— Après tout… du moment que ça t’amuse !
— Ça ne m’amuse pas, ça me passionne ! reprit avec une certaine véhémence Jean Cardignac. Cela m’enthousiasme, comme toutes les vérités scientifiques. Voyons, Henri, n’est-ce pas naturel ? n’as-tu pas lu qu’en Écosse, il existe déjà des routes ferrées pour le transport des marchandises, par des chariots mus par la vapeur ! n’as-tu pas déjà vu nos navires à aubes ? Alors, pourquoi nier le progrès de demain ?
— Je ne nie rien, mon Jean ! Je ne nie rien ! reprit Henri, impressionné par la foi qui vibrait dans les paroles de son frère.
— Non, continua ce dernier presque grave, il ne faut rien nier, rien !… Tiens ! s’écria-t-il en saisissant un dossier qu’il étala ; tu me reproches de n’être plus artilleur. Eh bien, regarde ça !
— Ce sont des plans de canons, conclut Henri après un instant d’examen.
— Oui !… des canons !
— Pourquoi diable ! ces cannelures dans l’âme ?… et cette ouverture de la culasse ?… tu veux donc nous faire démolir, avec tes tentions ?
— Est-ce que tes pistolets à balle forcée éclatent quand tu t’en sers ?
— Non ! fichtre non !
— Eh bien, pourquoi des canons éclateraient-ils ?
— Ah ! Et la charge, donc ! Ça ne se compare pas ?
— Et la résistance des parois d’un canon, est-elle comparable à celle d’un canon de fusil ou d’un pistolet ?
— Oui… mais ta fermeture ne sera jamais assez forte.
— C’est à étudier. Je la cherche, dit avec gravité le jeune savant.