Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/98

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— Et tes cannelures ?

— C’est pour…

— Allons ! assez discuté science et inventions ! s’écria en riant le colonel. Vous causerez de cela un autre jour. La maman nous attend pour dîner… en route ! Allons, Bouloche, mon garçon, donne le frac et le sabre de ton lieutenant.

Bouloche qui, pendant ce colloque, avait consciencieusement lessivé le parquet, possédait maintenant des mains d’un si beau noir, qu’il ne savait plus où les mettre ? il obéit pourtant — non sans trembler pour les taches qui pourraient survenir de ce contact avec l’uniforme de son officier, — et on repartit pour Saint-Cyr.


Ce fut, sans contredit, un beau congé que celui que Henri Cardignac passa en France. Les félicitations de ses amis le payèrent de ses peines en Afrique ; le colonel Nérac, du 5e chasseurs — son régiment d’origine — voulut que le corps honorât la bravoure de Henri, et ses anciens camarades, ses anciens-chefs tinrent à lui offrir un punch d’honneur.

Il fut le héros de la fête, et son bonheur se doubla de la présence à ses côtés de son père et de son frère Jean.

En un mot, Henri fut fêté partout ; et s’il n’eût été doué d’une modestie vraiment excessive, il eût pu raconter mille fois ses exploits à ceux qui le questionnaient.

Mais il se bornait à donner des détails clairs et précis sur les choses d’Algérie, vantant ses chefs et ses soldats, ne parlant jamais de lui-même. Cette attitude plaisait, ajoutait au charme qui s’exhalait de sa personne et de sa bravoure bien connue.

Or, un jour qu’il était allé à Paris, en compagnie de son père, ils croisèrent, aux Champs-Élysées, un homme en redingote, âgé déjà, et dont le visage aux lèvres rasées étonnait par son ascétisme, mais dont les yeux volontaires et lumineux brillaient d’un feu étrange sous les sourcils gris.

— Bonjour, colonel ! lança-t-il en passant près de nos deux amis.

— Le général Bugeaud ! souffla le colonel à son fils. Et tout haut :

— Mon général, j’ai l’honneur de vous saluer et de vous présenter mon fils, Henri Cardignac, lieutenant aux spahis, en congé.