Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/136

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Comme tout le monde, il avait tout d’abord cru à la victoire ; mais, à la nouvelle des premières défaites, leur cœur de Français avait tressailli.

« À l’âge que vous avez, mes enfants, leur avait-elle dit, je ne vous aurais point donnés pour une guerre de conquête ; mais ce n’est plus le cas. Nous en sommes à la défense du sol sacré de la Patrie : tous nous devons y contribuer. La France est envahie, mes enfants ! Je vous donne à elle… Partez ! »

Et cette femme, héroïque comme le furent toutes les femmes de l’ancienne Rome, comprimant les tressaillements douloureux de son âme maternelle, tint à honneur d’amener elle-même ses deux fils au régiment.

À l’heure de la séparation, elle les serra contre son cœur, leurs deux têtes reposant sur ses épaules, une muette bénédiction tomba dans un baiser, de ses lèvres sur leurs deux fronts.

Puis, à l’appel du clairon, Paul et André se dégagèrent.

Un instant plus tard, la mère restait seule et voyait au loin le régiment disparaître.

Les deux frères avaient ensuite combattu à Sedan, comme Georges Cardignac. Moins heureux, André Augier était tombé dangereusement blessé ; mais son frère Paul avait réussi, au prix d’énergies surhumaines, à le sauver et à le transporter jusqu’en Belgique. Alors, une fois le blessé installé à l’hôpital, Paul était rentré en France. Réintégré dans les rangs de l’armée de la Loire, il avait été nommé sous-lieutenant !

— Oui, conclut-il en terminant, si toutes les mères de France avaient agi comme vous, madame, et comme ma mère… qui sait ? Peut-être aurions-nous été victorieux. Ah ! pauvre pays ! qui, envahi par les hordes allemandes, n’a pas trouvé tous tes fils pour te défendre !…

Il y eut un instant de silence poignant, que rompit soudain un bruit d’enfer qui partait de la cuisine.

Que se passait-il ? La cuisinière qui arrivait toute effarée en donna l’explication.

C’était Barka, le noir Barka qui causait ce vacarme !

Bien traité, l’Arabe s’était attablé devant une forte côtelette qui n’avait pas « fait long feu », vous pouvez le croire.

Puis Joséphine, la cuisinière, lui avait servi des pommes de terre sautées, que le turco avait trouvées fort à son goût.