Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/137

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Le tour de la salade était venu ensuite, et Barka ne l’avait pas trouvée mauvaise ; non plus, du reste, qu’un fort morceau de gruyère, additionné d’une poire en guise de dessert.

Après un léger repos, Barka n’avait pu refuser une tasse de bon café fumant, ce qui est du reste dans l’ordre pour bien terminer un déjeuner.

À cela, je ne trouverais rien à redire ; mais l’Arabe, tout bon musulman qu’il fût, avait oublié, ce jour-là, les préceptes du Koran et négligé la plus rigoureuse des prescriptions du prophète.

Il avait donc, sans compter, rempli et vidé copieusement son verre ; et comme il s’agissait, en l’occurrence, d’un excellent petit vin rouge bourguignon, provenant de la côte de Chenôve, le brave turco avait senti, vers la fin du repas, une douce gaieté l’envahir.

Le pis est que Joséphine crut devoir, par bienséance, additionner d’un verre de marc de Bourgogne le café de Barka, qui, sans trop savoir comment cela lui survenait, se trouva du coup tout à fait gris !

Alors, empoigné d’une idée saugrenue, le « téraïour » s’était mis à danser dans la cuisine ; puis, comme pour danser il faut de la musique, et de préférence de la musique arabe, l’ordonnance de Paul Augier s’était emparé d’une casserole et d’une cuiller à pot.

Avec l’une, il tapait sur l’autre à tour de bras ! En même temps, il psalmodiait, sur un mode guttural, un chant de son pays,

Alalya, ras el Bey, Alalya !…


et se trémoussait comme un diable, ne s’arrêtant que pour rouler des yeux féroces en articulant :

« Couper cabèche[1] aux Pruskos ».

Joséphine, d’abord ahurie, avait pris peur devant « ce possédé » et était montée prévenir.

L’apparition de son lieutenant ramena instantanément l’Arabe au calme et à la bonne tenue. Dans un langage approprié, ni français, ni arabe, qu’on dénomme le « sabir », Paul Augier semonça vertement M. Barka et l’envoya se coucher, avec la promesse de quatre jours de « garde de camp ».

Cet incident burlesque terminé, la conversation reprit, et ce fut à ce

  1. La tête.