Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/159

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France de 1870, qui, en pleine prospérité matérielle, venait de se faire écraser par un seul ennemi, par le vaincu d’Iéna et d’Auerstaedt.

Non certes, et si le colonel Cardignac eût pu surgir de sa tombe, il eut dit à son petit-fils :

— La nation française a oublié les vertus guerrières des ancêtres, mon enfant ; elle s’est endormie dans le culte de l’argent, dans l’amour du bien-être : il est juste qu’elle se réveille dans la défaite et dans les larmes. C’est à vous autres, les jeunes, à la relever, à lui refaire des mœurs et à lui infuser un sang généreux. Va dans cette école du devoir et de l’honneur te préparer à cette noble tâche !

Cette voix, il sembla à Georges qu’il l’entendait, pendant que Valentine entourait pieusement d’une couronne le sommet de la colonne funéraire, et ce fut le cœur affermi et la tête haute qu’il pénétra dans la première cour de l’École, la cour d’honneur, au fond de laquelle, derrière un rideau d’arbres séculaires, se dresse la vieille chapelle où dort Mme de Maintenon.

La cour d’honneur où chacun peut pénétrer, où les parents peuvent le dimanche venir embrasser leurs enfants, communique par une voûte avec la cour Napoléon.

Mais dans celle-ci, nul ne peut entrer s’il n’appartient à l’École, et ce fut sur le seuil de cette voûte que Valentine embrassa Georges une dernière fois.

Le cœur de la pauvre femme se fondit au moment de cette séparation. Certes, elle en avait connu d’autres plus terribles, lorsque Georges l’avait quittée pour aller à Metz, lorsqu’il s’était de nouveau arraché de ses bras, sa blessure guérie, pour repartir avec Paul Augier : mais aucune de ces séparations ne lui avait donné la même sensation de vide et d’isolement, parce que, depuis quatre ans, installée à Paris près de lui, elle l’avait senti constamment à ses côtés.

— Tu m’écriras, Georges !

— Tous les jours de la première semaine, mère, et ensuite tous les samedis jusqu’à notre première sortie.

— Quand vous permettra-t-on de sortir pour la première fois ?

— Au jour de l’an seulement : il faut apprendre à porter l’uniforme et à saluer, avant de sortir dans Paris.

— Est-ce que tu as besoin d’apprendre cela, toi ?… Enfin !… Écris-moi longuement ; raconte-moi tout ce que tu fais surtout !…