Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cas : « Cette modestie vous honore, Monsieur, m’a répondu gravement ce « bourreau ; elle sied au vrai mérite ; mais ne vous pressez point : « cet officier » n’a besoin de votre poème que pour demain matin au réveil !… » De sorte que je vais consacrer à cette élucubration inepte la moitié de ma nuit.

Pauvre petit Andrit !


Aussi vous pouvez vous faire aisément une idée, mes enfants, de ce que fut la première sortie pour les malheureux melons au bout de deux mois de cette existence-là.

Elle eut lieu le dimanche qui précédait le Jour de l’An, afin de les accoutumer, par une première épreuve dans Paris, au port de leur uniforme, pendant les quatre jours de vacance qui allaient suivre.

Ah ! cette première sortie dans cet uniforme si ardemment convoité, avec le plumet rouge et blanc, planté coquettement sur le bleu du shako ; le « casoar » comme l’appellent les Saint-Cyriens ; cette gaucherie des premiers pas ; cette raideur du débutant soldat ; cette crainte d’oublier un salut au supérieur qui passe, fût-il un caporal d’administration ! qui ne s’en souvient comme du jour des grandes émotions ! À celle-là s’en joignait encore une autre pour Georges : il allait passer une journée entière avec sa mère.

Comme son nouvel ami n’avait pas à Paris de correspondant, Georges emmena avec lui, ce jour-là, le petit Andrit et le présenta à son cousin Pierre Bertigny et à Margarita. De douces heures coulèrent dans l’intimité de la famille, égayées par les récits de brimade des deux Saint-Cyriens Pierre, qui se rappela les brimades et les farces de La Flèche, raconta de son côté l’histoire de la cane qui avait failli le faire mettre à la porte du Prytanée, et il n’y eut pas, ce soir-là, jusqu’au petit Russe dont la figure ne s’illuminât d’un sourire.

Car vous pensez bien, mes enfants, que Mohiloff était toujours là, et, en attendant la sortie de Saint-Cyr de son jeune maître, il avait repris auprès de Mme  Cardignac son emploi de serviteur muet.

Georges montra à son ami son chassepot et son sabre-baïonnette qu’il avait été, après la guerre, déterrer de concert avec Pierre Bagelin, le charbonnier, au pied d’une borne hectométrique de la route de Sedan à Bouillon. Il les conservait précieusement et le petit Andrit tourna et retourna les deux armes comme si elles eussent été de véritables reliques.