Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/234

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Il est là, face à la mer, le bras droit tendu vers l’Angleterre, et semblant, de son regard profond, indiquera la France l’implacable adversaire. Le piédestal porte cette inscription, reproduction d’une de ses pensées maîtresses : « J’avais résolu de renouveler à Cherbourg les merveilles de l’Égypte. »

Et ce geste, ces paroles du César moderne, avaient maintes fois rendu songeur le petit-fils de Jean Tapin.

Car il se souvenait de ce qu’il avait lu sur les feuillets jaunis qui formaient les Mémoires de son grand-père : toutes ces guerres traversées par le petit-tambour de Valmy, toutes ces coalitions dont la dernière avait, à Waterloo, anéanti l’armée française épuisée, c’était l’Angleterre qui les avait suscitées, payées ; toutes ces masses autrichiennes, prussiennes et russes qui s’étaient ruées sur la France, c’était elle qui les avait poussées, et, à l’abri dans son île, elle n’avait eu de repos qu’après la chute du colosse impérial et l’effondrement de notre pays.

Il n’y avait que soixante ans de cela !

Dès lors, pourquoi n’était-elle plus l’Ennemie, elle qui l’était depuis des siècles ? Comment avait-on été assez aveugle pour aller avec elle en Crimée, en Chine ? pour se laisser pousser par elle en Italie, pour faire son jeu partout ?


Était-elle, en 1870, venue au secours de la France abattue ? Au contraire, elle l’avait insultée bassement dans ses journaux, dès qu’elle l’avait vue à terre ; encore une fois, pourquoi n’était-elle plus l’ennemie, et pourquoi la France s’hypnotisait-elle du côté de l’Est ?

Hélas ! mes enfants, la réponse était facile à faire, et Georges se la fit aussitôt ; un nouvel ennemi nous était né du côté du Rhin, qui nous avait ravi deux de nos plus chères provinces. Si, mieux inspiré, il ne nous avait demandé que de l’argent pour rançon de notre défaite, nous eussions pu oublier ; mais il nous avait arraché comme une partie de nous-mêmes, et c’était la perte de l’Alsace-Lorraine et l’ardent désir de la recouvrer, qui orientait maintenant toute la politique française.

Tous les efforts du pays tendaient donc à reconstituer la frontière de terre : Verdun, Toul et Épinal formaient la première barrière ; les bords de la Meuse et de la Meurthe se hérissaient de forts ; en arrière de cette première ligne, La Fère, Laon, Reims, Langres, Dijon en constituaient une seconde. Enfin Paris, devenu un camp retranché formidable, formait le