Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/278

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au sommet de cet amoncellement de colis, tenaient flegmatiquement les longues barres du gouvernail.

M. d’Anthonay et les officiers d’infanterie de marine étaient installés sur le Faidherbe ; avec eux voyageaient un Père blanc des missionnaires de Carthage, nommé Bourbon, envoyé en mission dans la région du Niger, et un agent des postes, nommé Gauthier, grand chasseur, qui, un fusil Winchester à la main, cherchait sur les rives, avec une attention de Peau-Rouge, un crocodile à tirer. Le Sénégal déroulait aux yeux des passagers de longues bandes brillantes de sable, interminables et monotones, que semblaient rendre plus arides encore les troncs grisâtres de quelques palmiers desséchés.

Vers le soir, apparurent sur la rive droite les tentes brunes de quelques campements maures, tranchant nettement sur le sable. Un convoi de chameaux passa le long des berges, et les grands corps de ces animaux se profilèrent sur les profondeurs orangées du ciel, comme de fantastiques ombres chinoises.

Le « subrécargue » ou commandant du Faidherbe était un Bordelais, petit homme vif et nerveux, que dix ans de navigation sur le Sénégal avaient desséché jusqu’aux os, et qui se prêtait de bonne grâce aux questions intéressées de Georges, avide de s’instruire.

Ce fut par lui que le jeune officier fut mis au courant de cette question si curieuse du régime de la navigation sur le Sénégal.

— Pendant les mois d’août, de septembre et d’octobre, lui dit le vieux marin, le Sénégal, grossi par les pluies de l’hivernage, coule à pleins bords, et en quelques jours son niveau s’élève de huit à dix mètres. Cette immense cuve, dont vous voyez les bords desséchés, se remplit, déborde, forme des lacs immenses et livre passage à tous les avisos et remorqueurs de la colonie. C’est la saison où affluent les approvisionnements à l’intérieur ; tous les chalands et bateaux disponibles sont réquisitionnés ; de grands vapeurs de Bordeaux franchissent même la barre et remontent jusqu’à Kayes ; mais ils n’y moisissent pas et se retirent rapidement, car un retard de quelques heures suffirait à les échouer sur le sable. Le fleuve se vide en effet aussi vite qu’il s’est rempli, et à la saison où nous sommes, vous aurez toutes les peines du monde à arriver à Kayes en chaland.

— Alors, demanda Georges, il nous faudra prendre la voie de terre avant Kayes ?