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— Bon ! attendons la colonne, et nous allons faire une entrée triomphale dans les États de mon ancien camarade de 1870.

Effectivement, une heure plus tard, la colonne française, groupée en bon ordre et précédée de ses clairons, faisait son entrée dans Kineira.

Barka chevauchait son bidet blanc ayant le capitaine à sa droite et Georges à sa gauche ; devant eux, Baba portait orgueilleusement son pavillon tricolore, et sur les flancs, les nègres du turco-roi dansaient, hurlaient des chants discordants, et tapaient à tour de bras sur leurs tambours d’écorce.

Puis l’installation du camp français organisée, le capitaine Cassaigne, Georges, MM. d’Anthonay et Pépin s’occupèrent immédiatement de questionner Barka qui, on l’a vu, avait changé de nom en coiffant la couronne royale, et s’était fait appeler simplement Ben-Ahmed, c’est-à-dire fils d’Ahmed, ce qui lui donnait aux yeux de ses sujets comme un air de prophète.

L’ancien « téraïour » expliqua aux officiers qu’il n’était point déserteur, comme l’avait cru M. d’Anthonay. Son temps de service en Algérie terminé, l’Arabe, qui avait le goût des aventures, s’était fait envoyer aux tirailleurs sénégalais. Il y avait fait un stage d’engagement de deux années ; puis, ayant appris à connaître le pays, Barka avait « travaillé à son compte » : c’est-à-dire que, levant une bande de chenapans nègres, il avait pratiqué comme pratiquaient, hélas ! à cette époque tous les chefs de tribus, et procédé à la guerre de pillage sans s’inquiéter le moins du monde de ce qui pouvait être juste ou injuste, car la morale européenne et Barka ne se fréquentaient pas.

Ne lui en sachons pas trop mauvais gré ! Ce n’était pas tout à fait sa faute !

Bref ! mons Barka avait fini par s’adjuger de force la suprématie dans le district de Kineira. Pour s’assurer une tranquillité relative, il s’était mis en rapport avec l’Almany Samory, lui payait une redevance et l’aidait de temps à autres dans ses razzias d’esclaves. Il n’était point, à proprement parler, un des « sofas » de Samory, mais simplement un allié intermittent qui, au fond, détestait son grand chef et ne le servait que par crainte.

Dans de telles conditions, on peut se demander quel motif mystérieux et puissant l’avait invité à prendre en mains les intérêts du pauvre M. Ramblot, réellement enlevé par une bande du terrible Almanv.