Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/374

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Il partit seul, son revolver en bandoulière : l’aurore pointait du côté des montagnes, et quand il eut terminé le tour complet de la ligne des sentinelles — car dans cette marche le bivouac, formé en carré, se gardait de tous les côtés, — le soleil allait paraître et ses premiers rayons se reflétaient dans l’eau rapide et peu profonde où la Trombe, à l’ancre, tenait la tête de la flottille.

Georges rentrait en suivant le bord de la rivière, l’œil aux aguets par habitude, lorsqu’il remarqua, à quelque distance, des roseaux animés d’un léger tremblement.

Or il n’y avait pas un souffle dans l’air, et d’autres roseaux, situés dans le voisinage de ceux-ci, ne remuaient pas.

Persuadé qu’un Pavillon-Noir était embusqué là, le corps caché dans l’eau, Georges avec un sang-froid que lui avait donné l’habitude de l’imprévu dans la vie coloniale, ne ralentit pas son pas, sembla porter ses regards dans une autre direction, et, dès qu’il fut près des roseaux suspects, dirigea sur eux le canon de son revolver.

Au même moment une tête en émergeait ; une tête qui n’avait rien d’annamite, mais qui offrait cependant cette particularité d’être rasée complètement.

Et quelle fut la surprise de Georges en entendant cette phrase à mi-voix et en bon français :

— Ne tirez pas, allez, mon lieutenant !

Puis l’homme à qui appartenait cette tête glabre et très pâle sortit du fleuve, couvert de vase, vêtu de loques dont la couleur avait disparu, pieds nus et sans armes.

Il fit deux pas dans la direction de l’officier, tendit les mains vers lui d’un air suppliant et tomba à genoux.

— Mon lieutenant, dit-il, ne me perdez pas, je vous en supplie !

Au comble de l’étonnement, Georges avait replacé son revolver dans son étui.

— Mais, fit-il, qui êtes-vous ?

— Vous ne me reconnaissez pas, mon lieutenant ; j’étais de votre peloton à Hanoï.

— De mon peloton ?… Vous êtes de l’infanterie de marine ?

— Oui, mon lieutenant.