Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/373

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Il n’eut pas le temps d’ailleurs de s’abandonner aux rêveries que tous ces souvenirs remuaient en lui ; car, après Son-Tay, le corps expéditionnaire dut prendre Bac-Ninh, puis Hong-Hoa et Tuyen-Quan.


Georges Cardignac prit part à plusieurs de ces opérations, et, dans l’une d’elles, il eut à débattre, avec sa conscience, la solution d’un problème que je vais vous exposer, mes enfants ; chacun de vous pourra, en s’interrogeant, savoir s’il eût agi comme notre ami Georges, et la suite vous dira si la solution adoptée par lui était bonne.

C’était quelques jours avant la prise de Tuyen-Quan. Georges Cardignac avait quitté les tirailleurs annamites et repris son peloton de marsouins, dans la compagnie du capitaine Bauclie. Il avait d’ailleurs trouvé ce peloton diminué de quinze hommes tués, blessés et quelques-uns « disparus ».

Le mot « disparu », dans cette guerre contre les barbares les plus cruels qui soient au monde, équivalait d’ailleurs au mot « tué » ; car on ne pouvait faire qu’une supposition au sujet des malheureux soldats qui s’étaient écartés de la colonne ou n’avaient pas reparu après un combat : c’est qu’ils avaient subi le sort abominable que les Chinois réservent à tous leurs prisonniers sans exception, sort dont l’aventure de Georges à la prise de Son-Tay vous a donné une lugubre idée.

Vous allez voir pourtant, mes enfants, que tous les disparus n’étaient pas prisonniers.

Un jour, après une longue marche dans la vallée de la rivière Claire, le camp français était installé au bord de l’eau. Commandé par le colonel Duchêne, il comprenait un bataillon de la légion étrangère et deux compagnies de tirailleurs algériens. En fait de marsouins, il ne comportait que le peloton de Cardignac ; mais ce peloton était réparti sur les canonnières, la Trombe, l’Éclair, le Yatagan et le Revolver qui escortaient la colonne le long de la rivière, en traînant derrière elles un long convoi de jonques chargées de vivres. Les marsouins, comme il arrive souvent aux colonies, y aidaient les équipages et assuraient, contre les pirates cachés dans les couverts de la rive, la sécurité du convoi. Le soir venu, ils descendaient à terre et campaient au bivouac, avec la colonne.

Ce jour-là, Georges, commandé de service, devait faire une ronde au petit jour pour s’assurer de la vigilance des sentinelles.