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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/407

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— Canaille ! murmura Georges.

Et il attendit le moment où le général Brière de l’Isle viendrait, comme il le faisait fort aimablement pour tous ses invités, lui adresser la parole. Ce moment arriva lorsque le café fut versé sous une véranda qui dominait le fleuve Rouge. Quand le général en chef eut adressé au jeune officier les félicitations d’usage :

— Mon général, dit Georges, serais-je indiscret en vous demandant de me présenter à ce monsieur Kolwitz ?

— Qu’à cela ne tienne, mon jeune camarade.

La présentation faite sans que l’Anglais eût manifesté le moindre signe indiquant qu’il reconnaissait le jeune homme, Georges Cardignac lui dit à brûle-pourpoint :

— Vous ne me reconnaissez pas, Kolwitz ?

Le général eut un haut-le-corps : ce « Kolwitz » tout court, vis-à-vis d’une des sommités de la presse internationale, le stupéfiait ; mais Georges, regardant fixement l’insulaire et faisant un pas vers lui, continua :

— Vous souvient-il de Bazeilles et de ce jeune Français que vous avez fait passer pour votre secrétaire aux avant-postes allemands, parce que vous espériez tirer de lui quelques documents sur la bataille de Saint-Privat ? Vous souvient-il de ce laisser-passer signé Fritz, qui vous fit saluer très bas par l’officier allemand, chef de poste ? Vous souvient-il enfin des coups de revolver que vous avez tirés sur ce jeune Français, c’est-à-dire sur moi, en arrivant avec les Bavarois dans Bazeilles, le lendemain, croyant nous surprendre ? … Vous souvient-il de tout cela… Kolwitz ?

L’Anglais avait d’abord ouvert une bouche énorme, comme pour s’apprêter à rire d’une formidable méprise ; mais, soit que la dernière phrase évoquée lui eût rappelé le moment pénible où il s’était enfui, son macfarlane enflammé par le coup de fusil de Pépin, souvenir brûlant, s’il en fût, soit que, pris à l’improviste, il n’eût pas son esprit d’à-propos habituel, il resta coi, les yeux fixes.

Se tournant alors vers le général de plus en plus stupéfait :

— Mon général, dit Georges, pardonnez-moi l’incorrection que je commets devant vous : j’ai choisi d’ailleurs le moment où elle n’avait aucun témoin ; mais cette manière de procéder était nécessaire pour démasquer ce drôle qui, sous le masque du journaliste, fait tous les métiers. Il n’oserait