Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/409

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bien, fit Kolwitz, en scandant ses mots : vô allez recevoir les témoins de moâ !

Mais le général, que l’attitude du journaliste étonnait maintenant plus encore que l’accusation ne l’avait surpris, intervint à son tour.

— Monsieur, dit-il froidement à l’Anglais, vous venez d’être l’objet, de la part d’un de mes officiers, d’une imputation de la dernière gravité. Il ne s’agit pas de faire diversion. Si cette imputation est fausse, M. Cardignac sera sévèrement puni : si elle est exacte, vous voudrez bien prendre le premier paquebot pour Hong-Kong ou Ceylan, et sans bruit, dans votre intérêt même !…

Kolwitz tourna alors son rictus vers le général Brière de l’Isle.

— C’était perfête, dit-il ; je constaté que la courtoisie françèse elle était bas,… bien bas !… Notre « Wolseley », loui, il était courtois ; beaucoup courtois, général !

Et, tirant son claque, qu’il ouvrit d’un geste sec et hautain, Kolwitz gagna la porte.

Quand il eut disparu :

— Vous auriez peut-être mieux fait de me raconter tout cela à part avant le dîner, au lieu de l’aplatir comme cela devant moi, dit le général à Georges ; car il ne nous pardonnera point cela et va nous éreinter dans ses journaux. Mais c’est égal, je ne vous en veux pas, car cet animal-là nous avait tous empaumés, et nous étions loin de nous douter que nous avions affaire à une pareille fripouille.

Faisant alors asseoir Georges près de lui, le général lui fit raconter les péripéties de cette histoire, déjà vieille de quinze ans, mais dont les détails étaient aussi présents à la mémoire du jeune officier que le premier jour.

Inutile de vous dire, mes enfants, que jamais notre ami Georges ne vit paraître les témoins de Kolwitz ; le gaillard avait seulement voulu se ménager une sortie : mais ce serait mal connaître le personnage que de croire qu’il fut démonté par cette fâcheuse histoire ; il quitta le Tonkin, c’est vrai, mais il n’en resta pas moins correspondant, à Paris, des principaux journaux anglais, hostiles à notre pays ; seulement, pour parer à une expulsion toujours possible, il eut un trait de génie : il se fit naturaliser Français !…


Quelques jours après cet incident, une lettre arriva à Georges et, en reconnaissant l’écriture de la suscription, il ouvrit fébrilement l’enveloppe, car depuis longtemps il n’avait revu cette écriture longue et penchée.