Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/425

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Cardignac avait bien un peu le droit de penser à son bonheur à lui et d’essayer de le saisir à l’heure où il s’offrait.

Et pourtant c’était l’artiste que le sort allait favoriser, non en lui fournissant matière à un tableau de bataille — la guerre du Tonkin était close, bien close — mais en lui donnant l’occasion unique de faire, d’après nature, le tableau le plus émouvant qu’il eût rêvé.

Vous allez savoir lequel.

Ce ne fut pas quinze jours, mais deux mois qui s’écoulèrent entre la fin des hostilités et la signature de la permission de Georges Cardignac. Craignant toujours un retour offensif et une trahison des Célestes, le général Brière de l’Isle n’avait voulu laisser partir aucun officier valide, avant l’arrivée du nouveau général en chef et des renforts qu’il amenait.

Plus heureux que Georges, parce qu’il était rapatrié à titre de convalescence, Andrit avait pris le bateau de la quinzaine précédente.

Le général de Courcy venait d’être nommé commandant en chef du corps expéditionnaire.

Il arriva à Hanoï le 9 juin, avec le général Warnet, son chef d’état-major, et le général Jamont, commandant l’artillerie du Tonkin.

Or, deux jours après, le 11 juin, on apprenait la nouvelle de la mort de l’amiral Courbet.

Le vaillant homme de guerre, qui avait porté à la Chine les coups les plus sensibles, le marin qui avait su se faire adorer du plus humble de ses matelots, venait de succomber, à bord du Bayard, le vaisseau qu’il avait conduit si brillamment au feu.

Ce jour-là, 11 juin, à cinq heures, il donnait encore des ordres ; à neuf heures, terrassé par la dysenterie, il expirait dans sa cabine, entouré de tous ses capitaines, et, en même temps que les bâtiments des escadres avaient mis leur pavillon en berne, une douleur inexprimable s’était emparée des officiers et des équipages.

Les marins sollicitèrent la faveur de contempler une dernière fois les traits de leur glorieux chef. Lorsque le corps eut été embaumé et placé sur sa couchette de campagne, ils furent admis à défiler devant lui.

Et ces braves gens qui, pendant la campagne, avaient tant de fois, sans frémir, vu la mort de près, pleuraient tous comme des enfants : « On n’entendait que des sanglots, on ne voyait que des larmes, et le Bayard était