Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/433

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l’équipage, il laissa tomber sur cette assistance recueillie les premiers mots de prière, le jeune officier sentit, en le voyant, son cœur s’arrêter.

Où avait-il rencontré ce regard doux et lumineux qui semblait détaché des choses de la terre ? Sur quel front avait-il lu cette gravité sereine et cet air de noblesse ? il ne se rappelait pourtant point avoir jamais vu cet homme courbé, dont le visage émacié avait des tons d’ivoire et qui semblait revenir des contrées lointaines où éclosent les derniers martyrs…

Soudain, lorsqu’à l’élévation le prêtre se retourna de nouveau, pendant que la garde mettait le genou en terre, que les tambours battaient et que les clairons sonnaient aux champs, que le pavillon blanc à croix rouge, hissé à la corne d’artimon, interdisait aux canots d’accoster et à tous de troubler le silence, le souvenir, un souvenir vieux de quinze ans, mais toujours vivace, jaillit dans le cœur de Georges.

Ce prêtre, vieilli depuis 1870 au point d’en être méconnaissable, il l’avait vu sur le champ de bataille de Saint-Privat : c’était l’abbé d’Ormesson.

La messe terminée, Georges s’informa aussitôt.

C’était bien lui.

Depuis un an seulement il était revenu des missions lointaines du centre africain. Comme le Père blanc rencontré au Soudan, il avait été l’un des ouvriers du grand prélat français qui voulait supprimer l’esclavage en Afrique. Avec les « Frères du Sahara », créés par le cardinal Lavigerie, il avait fondé des missions dans l’Ouganda.

Mais l’Angleterre était venue, qui avait réclamé pour ses pasteurs et ses méthodistes cette région nécessaire au passage du chemin de fer transafricain ; en même temps qu’elle mitraillait les indigènes, elle avait donc chassé les missions françaises.

L’abbé d’Ormesson avait alors porté sa croix plus loin, vers le Tanganika, le grand lac alors à peine connu, découvert par Burton et exploré par Livingstone.

Mais la fameuse conférence de Berlin, ouverte en 1884, sous la présidence de M. de Bismarck, venait de découper l’Afrique et d’en distribuer les morceaux aux puissances européennes, avides de territoires nouveaux.

Or « l’État libre du Congo », qui venait de naître sous les auspices du roi des Belges, s’étendait jusqu’à la rive occidentale du Tanganika ; sur la rive occidentale de ce même lac, un nouvel état venait de surgir, celui de