Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/436

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et il pensa à ceux de ses camarades qui avaient choisi l’Est pour y monter la faction devant la frontière, et en particulier au grand Rollet, de Thiaucourt, qui devait toujours être à Verdun. Avec quel plaisir il le retrouverait celui-là.

Mais surtout un autre nom lui revint, celui de Zahner : un ami, celui-là, avec qui Georges avait fait sa première traversée, causé d’avenir et échangé les plus affectueuses promesses. Ils s’étaient alors juré de ne pas s’oublier et pourtant l’oubli était venu, car Zahner après son départ du Congo, qu’il avait quitté fiévreux et déprimé par le climat, n’avait plus donné signe de vie. Pendant trois ans, Georges avait ignoré ce qu’il était devenu, puis une lettre de faire-part du régiment lui était parvenue à Hanoï, l’hiver précédent :

Le colonel et les officiers du 1er régiment d’infanterie de marine ont l’honneur de vous faire part de la perte cruelle qu’ils viennent d’éprouver en la personne du

Lieutenant ZAHNER


mort de la fièvre jaune, à Dakar (Sénégal), le 2 septembre 1884.

Il y était donc revenu, le pauvre Alsacien, à ce Sénégal que Georges avait quitté si tristement, et il y avait trouvé l’ennemi le plus redoutable de l’Européen : la fièvre jaune. Son nom allait s’ajouter à ceux des morts de la promotion 1875-77, sur le marbre de la salle des jeux de Saint-Cyr.

Et Ferrus, le petit méridional, parti aux colonies pour essayer de traverser, sans connaître la gêne, les grades à maigre solde : mort lui aussi à la Nouvelle-Calédonie, l’année précédente.

Et Georges s’étonnait de ne pas se sentir plus ému en pensant à eux. C’est que, depuis cinq ans, il avait accoutumé son esprit à cette idée de l’absence éternelle.

La mort au loin, c’est le lot du « marsouin ».

Lisez les lettres de ceux qui sont tombés au champ d’honneur, comme Normand, tué à Lang-Son ; comme Lecerf, frappé d’une balle en plein cœur à N’Sapa, au Soudan, et vous verrez que tous pensent sans effroi à l’échéance toujours attendue.