Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/71

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nute ; on va pouvoir s’expliquer ! V’là la patrouille qui arrive à mon coup de feu !

Effectivement, le pas d’une troupe se rapprochait ; et un groupe de soldats d’infanterie de marine émergea de l’ombre : un lieutenant les précédait.

— Mon lieutenant ! articula le factionnaire en me désignant, c’est un civil qui arrivait au grand trot de là-bas ! Alors moi, qui n’avais pas pu le distinguer dans la nuit, je lui ai collé une prune… Heureusement que je l’ai pas touché, car il est d’chez nous, à c’qui paraît !

J’intervins à mon tour :

— Oui, mon lieutenant, j’ai réussi à franchir les lignes prussiennes — non sans difficulté, je vous l’assure — et ma foi ! ce n’est pas la faute de ce brave garçon si je puis causer en ce moment avec vous. Sa balle m’a sifflé tout près de l’oreille… C’est un bon tireur !…

— On s’en flatte ! articula le petit troupier… on a l’épinglette[1].

Le lieutenant sourit :

— C’est bon ! jeune vaniteux ! dit-il. On sait bien que Pépin dit « Parasol » est un tireur émérite.

Puis s’adressant à moi :

— Jeune homme, vous allez m’accompagner jusqu’au poste.

— Bien, mon lieutenant.

Le caporal de pause releva Pépin dit Parasol de sa faction, plaça la nouvelle sentinelle, et nous partîmes alors vers Bazeilles, sans que, du côté allemand, aucune démonstration hostile eût lieu.

Cinq minutes plus tard, j’entrais dans le poste et l’officier m’interrogeait.

Je n’eus pas de peine, je t’assure, maman chérie, à établir mon identité.

Le nom de Cardignac est (et j’en suis fier !) bien connu dans l’armée ; aussi dès que je l’eus énoncé, l’officier m’interrompit par cette question :

— Êtes-vous parent du colonel Cardignac qui fut officier d’ordonnance de l’Empereur ?

— Mon lieutenant, je suis son fils ; mais, hélas ! le colonel est mort !… tué à Saint-Privat !

— Comment cela ?… Je le croyais en retraite !

  1. Récompense de tir consistant en une grenade en argent retenue par une chaînette de même métal.