Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/85

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— Oui, mon lieutenant.

L’officier nous quitta, descendit prestement l’échelle, et nous nous plaçâmes, mon camarade et moi, en observation.

Il pouvait être cinq heures du matin ; le brouillard était toujours épais, et, si de notre côté le calme semblait profond, il n’en était pas de même sur les autres faces du village où la lutte battait son plein ; bien que j’entendisse nettement, je ne pouvais rien voir en dehors de la barricade, qui semblait sinistre avec ses guetteurs immobiles.

Pendant un bon quart d’heure, nous restâmes là silencieux, les rétines tendues, cherchant à percer l’uniformité fatigante de ce voile de brume grise ; soudain j’entendis, sur ma droite, marcher doucement dans la ruelle, au pied de l’éboulis pratiqué dans notre mur de grange.

Sans rien dire à Parasol qui guettait à gauche, je me glissai en rampant vers la brèche, et j’y arrivais, quand… toc !… les deux montants d’une échelle, dressée de l’extérieur, s’appliquent sur le rebord de la crevasse !

Du coup, je saute en l’air, baïonnette haute ! et alors une scène inoubliable — pour moi du moins — se déroule !

Combien dure-t-elle cette scène ! trente secondes ! peut-être quarante ! et certes il me faut, pour la raconter, dix fois, vingt fois, trente fois le temps qu’elle dura ; mais tous les détails en sont finement restés dans mon cerveau, avec leurs plus menues circonstances !

Juste comme mon buste émergeait du grenier,… une tête casquée apparaissait en haut de l’échelle et je poussais une exclamation de surprise.

Je venais de reconnaître mon lieutenant bavarois de la veille ; lui aussi m’avait reconnu : il eut une courte hésitation, puis m’adressa à la fois une injure et un coup de sabre.

Je parai et ripostai si vivement et si instinctivement que, percé d’outre en outre par mon coup de baïonnette, l’Allemand pirouetta sur lui-même et roula jusqu’au bas de l’échelle, sur les débris du mur, au milieu des cinq soldats bavarois qui, seuls, l’accompagnaient. Je lus sur leurs faces, enluminées par la fièvre de la lutte, une stupeur indicible.

Ils ne s’attendaient pas sans doute à trouver la grange encore défendue.

Mais pendant que je lançais ma riposte, je reconnus au bas de l’échelle, qui ? je te le donne en mille,… mon « ami » Kolwitz !

Oui, mère ! l’Anglais ! le journaliste anglais ! mon protecteur de la veille !