Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/91

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et le pressentiment sinistre qui me tenaillait s’accentua… Cernés… comme à Metz alors !. mais notre rentrée en action étouffa brusquement toute réflexion.

En effet, en bas, nos camarades recommençaient à tirer, et, par les ouvertures du pigeonnier, nous les imitâmes.

On n’avait pas grand mal à viser juste, car c’est dans une masse compacte que nous tirions, masse bleue et grise de Bavarois qui venaient, à travers les brèches des obus, à travers les ruelles incendiées, d’émerger dans la rue, et qui tourbillonnaient, oscillaient sous la grêle de plomb dont nous les couvrions.

Ce fut effroyable !… Chaque coup portait, et en moins de deux minutes, la rue fut encombrée (le mot n’est pas outré !), littéralement encombrée de cadavres ! Le ruisseau charriait du sang, et autour de nous flottait dans l’air une âcre odeur de poudre, de paille brûlée, de fumée à l’odeur fétide !

Tout le côté sud du village flambait en effet ! Et c’était terrible à voir, cette lutte ardente… féroce… au milieu de l’incendie qui tordait ses flammes comme des tentacules de pieuvre, et lançait dans le ciel des flots noirs de fumée, striés de flammèches et d’étincelles.

Ah ! le pauvre village, si riant, si coquet, tout à l’heure ! Dans quel état ces quelques heures de combat l’avaient mis ! À chaque seconde, des tuiles, des ardoises, des cheminées s’écrasaient avec fracas dans la rue ; des persiennes détachées par les balles s’effondraient en raclant le crépi des murailles.

Dans les maisons, au milieu du bruit de la lutte, on entendait des cris aigus de femme ou d’enfant, et je me souviens d’une malheureuse à cheveux blancs, qui, affolée, sortit en courant d’une maison, fut « ramassée » par les balles bavaroises, et tomba en poussant un grand cri, contre le cadavre d’un soldat de la ligne, qui, les bras grands ouverts, semblait crucifié sur le sol de la rue.

Puis c’est un groupe d’habitants du pays armés de fusils qui arrive !

Un prêtre (sans doute le curé de Bazeilles) les devance ![1] Ah ! le brave homme, et qu’il était magnifique avec sa soutane relevée, découvrant ses bas noirs et ses souliers à boucle ; il était nu-tête, et ses cheveux gris voltigeaient au vent de sa course.

  1. Historique : le curé de Bazeilles conduisit ses paroissiens à la défense de son village.