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Page:Driant-Un dirigeable au pôle Nord,1910.djvu/228

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L’aspect de la mer de glace s’était modifié : ce n’était plus le chaos évoquant le vers du poète latin : « Rudis indigestaque moles » et dénotant les convulsions de plusieurs banquises lancées l’une contre l’autre, c’était de nouveau la steppe glacée aux plis ondulés, parsemée d’icebergs erratiques, et pendant une heure le Patrie courut à la surface de cette mer figée, maintenu à grand’peine à trois cents mètres d’altitude par le jet continu et méthodique des cordages, du projecteur électrique et des appareils de télégraphie sans fil.

D’autres îles, formant un archipel allongé comme celui des îles Aléoutiennes, défilèrent à l’horizon dans la direction de l’Est, mais la belle confiance de l’Américain et de sa compagne commençait à être ébranlée, en constatant la baisse continue et de plus en plus rapide de l’aérostat, et ils ne songèrent point à les repérer.

Le moment n’était plus loin où il ne resterait plus rien à jeter et où, peur éviter le traînage sur la banquise, il faudrait avoir recours à la corde de déchirure.

À quelle distance serait-on alors des côtes américaines ou sibériennes, et comment les atteindrait-on jamais ?

Le milliardaire énonça le premier l’inquiétude qui commençait à le tenailler :

— Mieux vaudrait peut-être nous arrêter ici, avec ce qui nous reste de provisions, commandant, que de les semer ainsi derrière nous et de nous retrouver sans vivres un peu plus avant.