Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au premier abord, il était visible que le nouveau venu ne lui allait pas.

D’ailleurs, le contraste entre eux était frappant.

L’interprète était fort comme un taureau, trapu, très brun ; ses yeux noirs, enfoncés sous d’épais sourcils, étaient d’une fixité étrange et d’un éclat particulier.

Il avait conservé de son séjour en Afrique certaines habitudes de laisser-aller qui n’avaient pu échapper à un raffiné comme M. de Brantane ; le regard assez dédaigneux de ce dernier avait d’ailleurs été remarqué par l’interprète, mais un observateur attentif eût rapidement découvert que le nouveau passager était sous l’influence d’une préoccupation trop puissante pour attacher de l’importance aux dédains d’un étranger.

Et, en effet, une ardente passion dévorait cet homme.

Depuis un an il la traînait partout avec lui, dominatrice, impérieuse, irrésistible.

Il aimait d’un amour fou Mlle Fortier.

Lui aussi l’avait remarquée à Alger, où sa qualité de premier interprète de la puissante Compagnie transsaharienne lui avait ouvert un certain nombre de salons.

Dès les premiers jours, il s’était laissé prendre tout entier par le charme qui se dégageait de l’adorable enfant.

Mais quand il avait voulu lui faire comprendre quel feu le brûlait, il s’était heurté à une froideur de glace et il n’avait pas tardé à en deviner la cause.

Et sa passion s’était rapidement doublée d’une haine féroce pour le capitaine de Melval.

Aussi quel avait été son bonheur lorsqu’il avait appris le massacre des officiers de l’extrême Sud !

Ah ! il n’avait guère songé au désastre matériel et moral subi de ce chef par la France.

La France tout entière résidait pour lui dans Christiane !

Et dans ce deuil national qui s’abattait sur son pays il ne voyait qu’une chose, la disparition d’un rival abhorré.

Alors il s’était dit que les événements ayant travaillé pour lui, le temps achèverait l’œuvre si bien commencée.

A force de se répéter à lui-même qu’il avait l’avenir pour lui, que Mlle Fortier oublierait, qu’elle aurait un jour pitié de son amour, qu’elle se rappellerait son dévouement, ses