Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/201

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naître, c’est l’histoire qui a dû lui arriver avant d’embarquer, car, sûrement, il lui est arrivé quelque chose.

— Un créancier qui l’aura suivi jusqu’au ballon, fit le jeune homme en riant. Je connais ça ; mais sapristi ! il devrait se sentir maintenant tout à fait à l’abri des protêts et du papier timbré : encore un avantage des ballons. Jamais un aéronaute ne se verra relancé par les huissiers à 2.000 mètres en l’air.

— Quoi qu’il en soit, notre homme n’est pas curieux ; c’est pourtant la première fois qu’il voyage ainsi, et le paysage…

Il s’interrompit : la trappe qui donnait accès à l’intérieur de la nacelle conique venait de se soulever et une tête, celle de l’interprète apparaissait.

— Chut ! fit l’ingénieur ; et tous deux se penchèrent sur la balustrade, regardant la terre.

Le spectacle était admirable. Docile comme un sous-marin, le ballon se balançait dans l’espace avec une régularité de pendule.

Quand il se laissait glisser sur son plan idéal, entraîné par la poussée croissante de la pesanteur, le paysage terrestre grossissait à vue d’œil ; les plaques sombres devenaient des bois, les petites maisonnettes semblables à des bergeries d’enfant montraient peu à peu leurs détails de construction ; les toits, les cours apparaissaient ; les étangs, semblables à de petits miroirs aux formes irrégulières, devenaient des lacs, et les rubans blanchâtres se transformaient en rivières dont on distinguait le fond jaunâtre.

Les bruits de la terre, à peine perceptibles à 2.000 mètres, montaient de plus en plus forts ; les sifflets des locomotives, le roulement des trains sur les rails et des voitures sur les pavés, les cris des animaux, les cloches des villages et le bruit confus des humains s’agitant à la surface terrestre, formaient un ensemble sonore qui allait grossissant rapidement à mesure que la chute s’accélérait.

Puis, le merveilleux appareil arrivait à 300 mètres de terre, virait en hauteur, et soudain, l’effet inverse se produisait ; tout diminuait à vue d’œil, et, en même temps que la terre reprenait son aspect de plan topographique, le silence se faisait de nouveau autour de l’aérostat lancé dans les profondeurs de l’éther.