Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Enfin il termina en disant que si ses projets aboutissaient, il pourrait rendre un service signalé à la cause de l’islam.

— Lequel donc ? demanda le Mofti.

— As-tu vu arriver de la mer ce matin un bateau porté sur les ailes du vent ? l’as-tu vu passer comme un oiseau au-dessus de la ville et descendre sur la colline du fort ?

— Oui, je priais au sommet du minaret quand il est passé ; jamais pareille machine n’a été vue dans ce pays.

— Eh bien ! j’étais à bord de ce vaisseau de l’air, reprit l’interprète, et je vais te dire ce qu’il vient faire ici.

Bien qu’ils fussent habitués à cacher leurs impressions et à figer sur leur visage un masque d’impassibilité, les trois Arabes ne purent retenir un geste de surprise. Partout ailleurs, dans la ville, en s’entretenait de l’arrivée de l’aérostat, et sa venue avait provoqué de vagues inquiétudes.

Le Katib, qui n’avait pas lâché son poignard, prêt a frapper au premier signal, se rassit, évidemment pénétré d’une secrète admiration pour l’être humain qu’il avait devant lui et qui possédait le pouvoir surnaturel de suivre les hirondelles dans leur vol au-dessus de l’Océan.

— Cette machine, reprit Saladin, est envoyée de France pour parcourir l’Afrique et connaître tous les mouvements qui s’y passent, pour y découvrir le chef de la révolte et l’enlever au milieu de son armée, comme un vautour enlève un mouton au milieu d’un troupeau ; elle peut raser la terre et dépasser le sommet des plus hautes montagnes ; elle se rit du vent et de la tempête ; elle est d’un métal qui nargue les balles et le feu et si elle arrive à remplir son rôle, la guerre sainte, avant quinze jours, n’aura plus de chef.

Les Arabes hochèrent la tête et échangèrent un regard d’incrédulité.

— Tu doutes, reprit Saladin s’adressant au Mofti ; tu fermes les yeux à la lumière ; tes frères aussi ont douté jadis de la puissance des armes françaises, et cependant il a fallu se soumettre. Les Roumis ont amené ici des canons qui tuent l’Arabe avant qu’il devienne visible. A Philippeville ils ont fait sauter dans la mer des rochers gros comme des mosquées. Dans le lit desséché de l’Oued-K’hir, ils ont