Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/245

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couleurs voyantes le papier qu’il était venu chercher dans la mosquée d’El-Kébir.

Il venait de faire le premier pas dans la voie de la trahison et cette pensée lui était douce, car c’était sa vengeance qui s’ébauchait et prenait forme.

Ce qu’il allait tenter, il le savait maintenant. Le but à atteindre, il le voyait nettement.

Par quels moyens l’atteindrait-il, il ne s’en doutait pas encore ; mais ce n’était pas pour rien qu’il était mâtiné de Juif et d’Arabe, il trouverait.

L’essentiel était que l’aérostat, arrivé au contact des premières masses africaines, ne s’y arrêtât pas et poussât au delà, vers ce Sultan du désert qu’au fond de lui Saladin regardait déjà comme son maître.

C’était à cela d’abord qu’il fallait aviser.

La nuit était venue, plaquant d’ombres épaisses les angles rentrants des maisons et rendant plus inextricable encore le fouillis des ruelles.

Mais Saladin connaissait le vieil Alger comme sa ville natale et retrouva sans peine la maison de l’ami qui l’avait accueilli et lui avait fourni son déguisement.

C’était un « mouderrés » ou professeur, chargé d’une école d’enfants arabes dans le quartier des Tagarins.

Il se nommait Youcef, et musulman jusqu’aux moelles il n’eut pas de peine à comprendre ce que l’interprète attendait de lui.

Il parcourut la longue dépêche que celui-ci venait de préparer après en avoir soigneusement pesé tous les mots.

— J’ai compris, dit-il ; elle partira demain soir.

Lorsque le lendemain à la pointe du jour le ballon quitta le plateau, Saladin, dont la vue était perçante, distingua au milieu d’un buisson d’aloès un groupe d’Arabes accroupis, et parmi eux une tête qui ne lui était pas inconnue.

L’heure était matinale, les curieux étaient rares.

— Voyez donc, dit—il à l’ingénieur, ces trois saints personnages qui ont l’air de surveiller notre départ !

Et tirant son chapeau, il salua d’un air ironique en se penchant de leur côté.

— Adieu ! graine de révoltés, fit-il en riant.