Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/278

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Au bout de quelques instants, tout mouvement avait cessé dans cette mer humaine, et Saladin fit remarquer à ses compagnons que toutes les figures étaient tournées du côté de l’Orient.

— La prière du soir, dit-il.

Le ballon n’était plus qu’à 500 mètres.

Près du bûcher allumé quelques Arabes étaient debout.

L’un d’eux s’approcha du bord de l’Oued, dominant la multitude : on voyait distinctement dans la jumelle son turban vert et son écharpe de cachemire jaune.

Tout bruit s’était tu.

Là-bas, du côté de Figuig, le soleil avait disparu, panachant le ciel derrière lui de teintes irisées.

Et dans le silence de cette immensité, au milieu du calme de la nature encore engourdie par les feux du jour, la voix du marabout monta, scandée, puissante, s’étendant au loin.

— O mes frères, disait-elle, voici l’heure de la prière : proclamons tous que Dieu est Dieu et que Mahomet est son prophète !

— Dieu est le plus grand, mes frères ! Prions Dieu !

Tous les musulmans étaient debout, attendant le moment de l’ablution.

L’iman fit l’imposition des mains et répéta :

— Dieu est le plus grand, gloire à Dieu !

Un murmure monta grandissant.

Les Maures psalmodiaient la Fatiha.

Puis au milieu d’eux une houle passa ; ils s’inclinèrent la face contre terre et, se relevant, se prosternèrent de nouveau trois fois en répétant :

— Dieu est le plus haut ! Dieu est le plus grand !

Cette invocation grandiose, rappelant les prières des premiers chrétiens dans les solitudes, loin des persécuteurs, cette mer de têtes inclinées

Comme au souffle du Nord un peuple de roseaux.
ce recueillement prodigieux de barbares, puisant dans leur seule religion la force pour attaquer la civilisation sceptique de l’ancien monde, tout cela formait un tableau d’une grandeur incomparable.