Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/277

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des autres : c’était un amoncellement d’êtres humains, un grouillement comparable à celui de criquets rongeant une vigne.

Au milieu d’eux, des points ronds et brillants scintillaient.

Et l’ingénieur comprit la prévoyance du chef qui avait opéré cette concentration.

Dans cette dépression, l’eau n’était qu’à une faible profondeur et des milliers de puits avaient été creusés dans le fond de la rivière.

A mesure que les voyageurs se rapprochaient, un grondement immense montait vers la nacelle ; il ressemblait au bruit de la mer déferlant sur une côte granitique.

— Ils nous ont vus, dit l’ingénieur.

Un frisson passa entre ses deux épaules, en sentant ces milliers d’yeux levés vers l’aérostat.

A quoi tenait leur existence à tous ?

Suspendus à cette bulle de gaz, que deviendraient-ils si l’enveloppe qui la contenait subitement se rompait ?

Quelle chute au milieu de ces myriades d’ennemis, de ces peuples d’un autre monde, d’une autre race, d’une autre religion !

— Retournons, dit-il, j’en ai vu assez.

— Et ce pauvre général, fit Saladin, voilà un service de renseignements bien fait que le sien !

— C’est vrai, dit l’ingénieur, d’une voix sourde, et s’il était à notre place, s’il pouvait se douter de l’extrême supériorité de l’ennemi, il préférerait peut-être…

Il n’acheva pas sa phrase ; un voile venait de s’étendre sur sa belle confiance de tout à l’heure.

Oui, là-bas, c’était l’ordre, la discipline, la science, les engins qui centuplent la force humaine.

Mais ici c’était le nombre, le nombre écrasant, qui engloutit, étouffe, et, finalement, triomphe.

— Partons, répéta l’ingénieur, qui ne pouvait détacher ses yeux du ravin.

Sur un monticule de sable qui dominait les berges, un feu s’alluma.

On devait le voir de partout,

— On dirait un signal, dit Guy, car le bruit diminue.