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mencées en France et demandé au gouvernement allemand de recevoir son fils à l’académie de guerre de Berlin.

Ah ! la séparation avait été dure !

Mais le commandeur des croyants ne badinait pas.

D’autant plus dure que les Allemandes, avec leurs cheveux filasse, leurs yeux bleus à fleur de tête et leurs pieds larges comme des boucliers grecs, n’avaient pu lui faire oublier la jolie Parisienne aux attaches fines, à la chevelure soyeuse, aux yeux pétillants de gaieté.

Où était-elle à cette heure ! Du moins, il savait qu’elle n’avait pu vieillir comme ces négresses du Kordofan qui, ravissantes à quatorze ans, sont d’horribles mégères à vingt-cinq.

Il était bien sûr de la reconnaître s’il la retrouvait, car il n’y avait que dix ans de cela, et dix ans pendant lesquels son image avait bien souvent passé devant ses yeux.

Mais elle, pourrait-elle jamais le reconnaître, si les hasards de la vie les remettaient en présence ? Certes, elle était loin de se douter à cette heure que son « amour de nègre » était l’organisateur d’une invasion qui allait allumer en Europe une guerre effrayante et pousser jusqu’à Paris ses vagues mugissantes.

— Comme tu as l’air doux, lui disait-elle souvent :

Et il se rappelait ses réflexions : « Quand tu seras à Constantinople, quand tu auras un grand harem, beaucoup de femmes de toutes les couleurs, te souviendras-tu encore de moi ? »

Il avait répondu : « Toujours. »

Et c’était vrai.

Alors, un rêve l’emporta : il se vit entrant dans Paris par l’Arc de Triomphe, ce colosse qu’il avait tant admiré jadis. Il marchait en tête de l’Armée noire, brandissant d’une main l’étendard au croissant d’or : les Champs-Elysées n’étaient pas assez larges pour laisser passage à la cohue sauvage : à mesure qu’il avançait, les incendies s’allumaient, les cadavres jonchaient le sol. Sur les boulevards, où il s’était promené jadis avec son plumet rouge et blanc, c’était la désolation et la mort partout : çà et là il voyait étendus des cadavres qu’il reconnaissait, celui d’un de ses officiers instructeurs, puis celui d’un de ses camarades de la