Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/65

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Il n’avait pas eu à souffrir des petites brimades qui accueillent et accueilleront encore longtemps les nouveaux venus, brimades innocentes, mais qui l’eussent blessé dans sa dignité d’étranger.

Sa nationalité, son teint bistré, car il était né d’une sultane d’origine nubienne, sa timidité et en même temps son attitude fière et réservée, lui avaient attiré la sympathie de ces futurs officiers à la tête folle quelquefois, mais au cœur chaud et au sang généreux.

C’étaient deux bonnes années qu’il avait passées là, malgré les froids terribles qui l’avaient tant fait souffrir, lui l'amoureux du soleil.

Et il revoyait sa vie, le jour du triomphe de sa promotion, celle du Siam, un spectacle dont on ne pouvait se faire une idée dans ces pays arabes où le rire est inconnu : avait-il ri de bon cœur en voyant ceux de ses camarades qui s’étaient déguisés en odalisques et en nounous ?

Mais ce qu'il revoyait surtout, c’était la jolie fille qu’il avait un jour rencontrée et connue.

C’était à Longchamp, au retour de la revue, sur la route de Saint-Cloud; il était dans le rang comme les autres, et tout d’un coup une voix de femme avait dit assez haut pour être entendue de lui :

- « Oh! l’amour de nègre!… Quel joli garçon! »

Il avait rougi comme peut rougir un nègre et ses camarades s’étaient un peu moqués de lui; mais quelle avait été sa surprise de la trouver à la gare Montparnasse un des dimanches suivants.

Il n’avait fait que l’entrevoir à Longchamp, mais il l’avait reconnue de suite au gentil sourire qu’elle avait laissé percer en le retrouvant, et la connaissance avait été faite. Le voyant embarrassé, timide, elle l’avait emmené dans sa voiture, une voiture à elle, s’il vous plaît, et c’était un éblouissement quand il se rappelait le luxueux et coquet appartement de la Chaussée-d’Antin où elle l’avait débarqué.

C’était une toquade, disait-elle en riant, oui, mais une toquade qui avait duré dix-huit mois, et que pour son compte il avait joliment prise au sérieux, si bien même que le papa sultan, informé par l’ambassade ottomane de la conduite de son héritier, avait interrompu les études com-