Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/80

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Comme pour donner raison à ceux qui reprochaient alors à nos officiers leur excès de hardiesse, le vaillant colonel Bonnier, onze officiers et une compagnie de tirailleurs sénégalais, avaient été massacrés par les Touaregs quelques jours à peine après la prise de la ville, scellant ainsi de leur sang l’une des expéditions les plus aventureuses de la fin du siècle.

D’autres après eux avaient succombé encore, car les Touaregs n’avaient pu se décider à renoncer à leur souveraineté séculaire sur cet entrepôt central du Sahara, et les bords du Niger avaient été maintes fois ensanglantés par des massacres et des surprises nocturnes dans lesquelles les « Gens du Voile » sont passés maîtres.

C’est que, pour eux, Tambouctou représentait, avec InSalah, Ghadamès, Idelès, Rhat et Aghadès, l’un des rares marchés auxquels ils pouvaient venir en liberté s’approvisionner des denrées premières.

De plus, quel coup était pour leur prestige la perte de cette ville qui, malgré sa déchéance et bien qu’elle fût tombée à 13.000 habitants, conservait encore aux yeux des populations musulmanes son titre de « Reine du Désert ».

Aussi, pendant quinze ans encore, ils avaient intercepté toutes les routes qui la reliaient à l’Algérie, au Maroc et à la Tripolitaine, pillant les rares caravanes qui osaient se risquer vers leur débouché naturel d’autrefois, massacrant explorateurs, géologues, ingénieurs, comme ils avaient massacré Flatters, en un mot, rendant impossible l’étude de la voie ferrée transsaharienne depuis si longtemps projetée.

Cependant, la ville même de Tambouctou, aussitôt délivrée de leur joug, s’était peu à peu relevée de ses ruines.

A leur arrivée, les Français s’étaient trouvés en présence d’une ville agonisante.

Au Nord et à l’Ouest le sol était couvert de débris de constructions, vestiges de l’ancienne splendeur de la ville. De forme triangulaire, tournant sa pointe vers le Nord, Tambouctou apparaissait de loin morne et désolée ; les arbres qui l’environnaient jadis avaient été coupés par les Andalous pour construire une flottille sur le Niger : autour de ses murs, on ne voyait plus ni un buisson ni