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luisantes et dures, dont la vue avait fait faire une grimace au tirailleur.

— Le falezlez ! dit-il, en jetant à terre les maigres pousses.

Zahner les ramassa : il avait une légère teinte de botanique et, sous ce nom arabe, il reconnut une espèce de jusquiame qu’il avait rencontrée déjà dans les gorges du Djebel-Amour où elle constituait un poison violent.

Et comme il en portait les racines à sa bouche et les mâchait avidement, après avoir parlé de ses propriétés toxiques :

— Mais vous êtes fou ! cria de Melval, qui essaya de lui arracher la plante vénéneuse.

— Non pas, répondit le lieutenant : d’ailleurs j’ai faim et c’est une expérience à faire.

— Une expérience ?

— Oui, il parait que cette plante est poison violent sur les hauts sommets, dangereuse seulement sur les terrasses inférieures, et inoffensive dans les basses plaines. Or, nous sommes ici à une cote assez faible, quelques mètres à peine au-dessus du Niger : donc pas de danger[1].

— Je vous répète que vous êtes fou !

— J’ai faim, répéta simplement l’officier : d’ailleurs l’expérience est double ; je me suis laissé dire par une Ouled-Naïl que cette plante engraissait les chameaux et les chèvres, tandis qu’elle tuait le cheval, l’âne et le chien. Très curieuses ces propriétés si diverses ! Que j’en réchappe ou que j’y reste, je fais faire à la science un pas en avant. Intéressante au plus haut point la solution, pour moi tout au moins.

Et, tranquillement, il s’étendit sur le sable les yeux clos.

— Le malheureux ! fit de Melval ; c’est le délire, qui commence.

La nuit fut atroce peur la petite caravane ; car à la faim commençait à se joindre une torture intolérable, celle de la soif.

— Nous ne pouvons pourtant attendre la mort ici sans

  1. H. DUVEYRIER. Les Touaregs du Nord.