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À ce moment entra une femme. Une statue à la dérive. Échappée des mains d’un Pygmalion qui n’était qu’un copiste, elle avait la beauté d’apparat des reliques. Ses épaules, ses seins, ses cuisses avaient l’excès faible, la redondance de la sculpture de basse époque.

Eva Canning, née en Orient, avait été élevée à Londres. Rien ne pouvait démoraliser Alain comme cette énorme stature. Il voyait trop de ressemblance entre cette puissance illusoire, ce déplacement d’air et son creux sentiment des choses.

Cette apparition hâta sa journée. Cette femme qui était chargée de mille faveurs — beauté, santé, richesse — regardait le petit Falet d’un air humble et quémandeur.

— Nous allons chez moi, avec Eva. Viens-tu avec nous ? demanda tranquillement Falet.

— Oui.

Ils montèrent dans la voiture d’Eva, une machine puissante, douce et indifférente.

Pendant le court trajet, tandis que les deux autres bavardaient à tort et à travers, Alain ne pensait à rien, ou plutôt pensait à tout, mais il voyait toutes ses pensées prises dans un tourbillon dévorant ; il écoutait en lui la vitesse croissante de sa chute, de sa perte.

Par un escalier raide, quelque part dans Montmartre, ils montèrent chez Falet. Ils se trouvèrent dans un atelier vide et glacial. Dans un coin, il y avait un appareil photographique et