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tout. Le whisky et la drogue se poursuivaient et se chevauchaient en vagues brûlantes et froides, mais régulières. L’habitude. Au fond, un rythme tranquille.

Étapes abstraites : ayant repris un taxi, il ne regardait rien, ni à droite, ni à gauche. De la ville qui se levait et qui s’abaissait à droite et à gauche il ne sortait pour lui que de faibles évocations volatiles, quelques souvenirs personnels. Alain n’avait jamais regardé le ciel ni la façade des maisons, ni le pavé de bois, les choses palpitantes ; il n’avait jamais regardé une rivière ni une forêt ; il vivait dans les chambres vides de la morale : « Le monde est imparfait, le monde est mauvais. Je réprouve ; je condamne, j’anéantis le monde. »

Sa famille croyait qu’il avait des idées subversives. Mais il n’avait pas d’idées, il en manquait atrocement : son esprit, c’était une pauvre carcasse récurée par les vautours qui planent sur les grandes villes creuses. Il descendit du taxi. Il paya royalement le chauffeur. Un billet, petite flamme entre autres dans cette consomption de tout. Il fallait brûler ces dix mille francs en quelques heures. Pour ce fétichiste, de tels petits faits étaient énormes et absorbaient toute la réalité dans leur symbolisme enfantin : jeter un billet égalait mourir. L’hallucination du prodigue vaut celle de l’avare.

Il sonna à la porte de Praline.