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pour sauver ce qui lui en restait, dans un monde incontrôlable.

Peut-être cette opération est-elle commune à tous les hommes qui vivent d’imagination et de pensée, surtout quand ils arrivent au milieu de leur âge. Mais la passion, la folie d’Alain qui pourtant n’avait jamais vécu, c’était de supposer qu’on peut vivre dans un seul plan, engager toute sa pensée dans chacun de ses gestes. Faute de pouvoir le faire, il demandait à mourir.

Cependant, incapable de discuter, il réprimait tant bien que mal les interjections qui se pressaient dans sa gorge : il ne fit que répéter d’un ton bas et furieux :

— Je ne connais que moi. La vie, c’est moi. Après ça, c’est la mort. Moi, ce n’est rien ; et la mort, c’est deux fois rien.

Urcel avait horreur de la violence ; aussi, craignant de provoquer la colère d’Alain, étouffait-il celle qui lui venait devant son hostilité bornée. Derrière ces paroles courtes, d’ailleurs, il sentait toujours cette rigueur qui lui en imposait. Pourtant, il lui fallait encore parler, d’abord pour empêcher un effrayant silence, et aussi parce qu’en défendant ces idées qu’il avait rencontrées et qui convenaient si bien à ses vices et à ses faiblesses, il défendait sa peau. Il reprit donc avec une douceur presque suppliante :

— Ce que nous appelons la vie, ce que nous appelons la mort, ce ne sont que des aspects