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entre autres d’une chose plus secrète et plus vaste. Nous mourons à toute vitesse pour atteindre à quelque chose d’autre…

Totote se dressa parmi les coussins comme sur sa queue un serpent qu’on a attaqué.

— Pourquoi craignez-vous les mots ? Dites-le donc le mot que vous retournez dans votre bouche : Dieu.

Urcel restait le dos tourné à la pauvre femme ; mais il fronça les épaules avec effroi et jeta à Praline un regard de reproche.

Praline regardait Totote avec un mépris amusé. Pourquoi recevait-elle ce laideron envenimé ? Totote, grâce à sa petite fortune, était parvenue à retenir auprès d’elle un homme que Praline avait eu comme amant et qui l’avait quittée. Aussi Praline gardait à portée de la main cette chair hideuse pour en tirer une vengeance lente et intermittente.

L’homme était mort. Faible et buté, crédule et voulant se vanter d’être conséquent, il avait emmêlé plusieurs idées dont il se flattait de composer une subversion totale. Obsédé de l’idée de Dieu, il se disait athée, mais toute sa fureur avait abouti au manichéisme : il voyait double et parlait sans cesse d’un Dieu et d’un Diable qui tour à tour se confondaient et s’opposaient. Il se croyait communiste, mais sa pensée était assez courte pour qu’il se satisfît de l’idée d’une révolution qui serait une catastrophe sans lendemain. Il était aussi sadiste. Enfin, il s’était