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— Et toi, tu bois encore ?

— Je ne peux plus, je ne peux plus lever un verre. Quant à l’amour, ça m’est encore facile. J’avais une facilité pour ça.

— Pas moi.

— Pas toi ! Tiens, j’aurais cru.

— Moi aussi, j’ai cru.

— C’est la drogue qui t’empêche.

— Tu sais, les explications…

Ils marchèrent le long des Champs-Élysées, un long moment, sans rien dire. Milou avait sommeil, mais n’osait pas quitter Alain.

Alain marchait sans rien regarder, comme il avait toujours fait. L’avenue était pourtant belle, comme un large fleuve luisant qui coulait dans une paix majestueuse, d’entre les pattes du dieu-éléphant. Mais il avait les yeux fixés sur le petit monde qu’il avait à jamais quitté. Sa pensée errait de Dubourg à Urcel, de Praline à Solange et plus loin, jusqu’à Dorothy, Lydia. Pour lui, le monde c’était une poignée d’humains. Il n’avait jamais eu l’idée qu’il y eût autre chose. Il ne se sentait pas emmêlé à quelque chose de plus vaste que lui, le monde. Il ignorait les plantes et les étoiles : il ne connaissait que quelques visages, et il se mourait, loin de ces visages.

Ils remontaient lentement les Champs-Élysées ; ils étaient fatigués tous les deux. Alain prolongeait ce dernier contact humain et laissait passer les taxis vides dont chacun pouvait le