Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et dans la glace, il regarda encore derrière son épaule. Cette chambre vide, cette solitude… Il eut un immense frisson qui l’empoigna au creux des reins, en pleine moelle et qui courut de ses pieds à sa tête en foudre de glace : la mort lui fut tout à fait présente. C’était la solitude, il en avait menacé la vie comme d’un couteau et maintenant ce couteau s’était retourné et lui transperçait les entrailles. Plus personne, plus aucun espoir. Un isolement irrémédiable. Dorothy à New York, elle avait jeté sa lettre au feu et était allée danser avec un homme solide, sain, riche, qui la protégeait, qui la tenait. Lydia, sur le bateau, entourée de gigolos. Son frisson s’accentua encore quand il reçut l’image de ce bateau qui s’enfonçait comme une coquille de noix dans l’affreuse nuit de novembre, dans l’affreuse cuvette noire, flagellée de vents polaires.

Ses amis ? Ceux qui étaient comme lui attendaient en ricanant qu’il retombât auprès d’eux ;‬ les autres lui tournaient le dos, entraînés, absorbés par leur incroyable amour de la vie. Ses parents ? Il les avait habitués dès longtemps à ne plus croire à son existence. Quand il habitait encore avec eux, il leur avait donné le sentiment d’une absence d’autant plus déroutante qu’elle était plus enveloppée de gentillesse. Ils l’avaient vu se retirer avec une discrétion farouche de toutes les idées et de toutes les façons qui leur semblaient les garanties de l’exis-