Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alain secoua la tête.

— Tu te rappelles…, commença Dubourg.

Alain s’arrêta et frappa du pied.

— Tu radotes.

Ils s’étaient ébattus dix ans sur les bords de cette rivière : ‬toute leur jeunesse, pour Alain toute sa vie.

— Je ne veux pas vieillir.

— Tu regrettes ta jeunesse, comme si tu l’avais bien remplie, laissa échapper Dubourg.

— C’était une promesse, j’aurai vécu d’un mensonge. Et c’était moi le menteur.

Disant cela, Alain regarda la Chambre. Qu’était-ce que cette façade de carton, avec son ridicule petit drapeau ? Et puis, autour, ce flot de roues ?

— Où vont-ils ? C’est idiot, grinça-t-il.

— Mais ils ne vont nulle part, ils vont. J’aime ce qui est, c’est intense, ça me déchire le cœur, c’est l’éternité.

Alain regarda Dubourg une dernière fois. Il y avait quelque chose de positif sur ce visage. Incroyable. Il eut encore une velléité.

— Dubourg, sortons ensemble ce soir.

Nous téléphonerons à une amie de Lydia qui est assez belle.

Dubourg le regarda, en riant tranquillement.

— Non, ce soir j’écrirai deux ou trois pages sur mes Égyptiens, et je ferai l’amour avec Fanny. Je descends dans son silence comme dans un puits, et au fond de ce puits,