Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
LA MAISON DE JUSTICE.

Le 13 avril, la journée avait été calme ; on n’avait eu à écrouer que cinq détenus, dont Antonin Dubost, qualifié d’ancien préfet (il fut remis en liberté le 18 par ordre de Raoul Rigault qui l’avait fait arrêter), et Joseph Oppenheim, capitaine aux Défenseurs de la République, incarcéré pour « discussion dans un dîner », lorsque vers minuit treize prêtres, escortés de fédérés et amenés dans des fiacres, firent leur entrée au grand guichet. Ils appartenaient à la congrégation des Sacrés-Cœurs, et arrivaient de leur maison de Picpus, d’où ils avaient été arrachés en exécution d’un mandat de Raoul Rigault, notifié, sans douceur, par un pseudo-commissaire de police nommé Clavier. Fatigués d’avoir subi une longue perquisition, d’avoir été insultés pendant leur voyage par quelques libres penseurs qui demandaient qu’on les étouffât sur place, ces hommes, presque tous fort âgés, — l’un d’eux avait soixante-dix-sept ans, — étaient calmes et paraissaient résignés à la mort dont on les avait menacés. On les écroua, et au lieu de les mettre au secret, comme le portait l’ordre d’arrestation, on les enferma par groupes dans les chambrées de la division en commun (quartier des cochers). Le lendemain, ils purent rester tout le jour ensemble dans le préau et discuter entre eux sur le mode de mort qu’ils préféraient. Le pain assez ferme de la prison et les légumes secs de l’ordinaire étaient durs pour des vieillards qui auraient eu à souffrir de ce mauvais régime, si Mme d’Aubignosc, directrice de la lingerie, n’avait eu pitié d’eux et ne leur avait procuré une nourriture plus substantielle et moins coriace. Cette excellente femme ne dissimula pas assez bien l’intérêt qu’elle témoignait à ces détenus qui étaient de véritables otages ; elle réussit à quitter Paris et put éviter les suites d’un mandat d’amener lancé par Raoul Rigault.