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LA MAISON DE JUSTICE.

Lorsqu’ils comprirent enfin qu’ils étaient joués, ils se jetèrent au pas de course dans la rue et entrèrent dans la gare du Nord comme un ouragan ; le train qui emportait la communauté était parti depuis dix minutes. Le 19 avril, la supérieure reçut à Argenteuil une lettre fort polie du directeur Philippe Hesse, qui la priait de revenir à Saint-Lazare avec ses sœurs ; elle s’en donna garde. Le même jour, la Brunière de Médicis demandait à Raoul Rigault quelques inspecteurs intelligents et se faisait fort d’aller, en leur compagnie, enlever toute la communauté à Argenteuil. Le délégué à la sûreté générale parait n’avoir pas estimé que ce projet fût praticable.

Les sœurs furent remplacées par des surveillantes laïques qui, d’après un gardien, furent choisies parmi les « maîtresses de ces messieurs ». On redoutait sans doute quelques désordres intérieurs, car deux membres influents de la Commune, Delescluze et Vermorel, vinrent eux-mêmes recommander au directeur de maintenir une discipline sévère dans la maison. Cette discipline, Philippe Hesse savait l’imposer aux surveillants ; quant à ce qui se passait dans les sections des détenues, il ne s’en occupait guère. À la fin d’avril il dut reprendre l’uniforme d’officier de fédérés et céder la place à Pierre-Charles Mouton, ouvrier cordonnier, qui sortait de la direction de Mazas, où nous le retrouverons. Mouton n’avait pas grande foi dans la durée de la Commune ; il disait : « Les Versaillais gagneront sur nous ; il faut profiter du bon temps ; » et il en profitait. C’était un ivrogne. Le soir, il aimait à faire porter des bouteilles de vin blanc et de la charcuterie dans la section de la correction paternelle ; il y recevait ses amis et avait établi là un petit paradis de Mahomet qu’il vaut mieux ne pas décrire trop minutieusement. Les surveillantes laïques n’avaient point un cœur de