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LA MAISON DE JUSTICE.

exécutif et qu’il lui était interdit par « les lois » de lever un écrou sans mandat ; mais il proposa aux fédérés d’user de son influence sur le procureur de la Commune, afin d’obtenir la mise en liberté demandée. Il écrivit donc : « Citoyen Rigault, si tu pouvais prendre en considération la demande de plusieurs citoyens qui réclame leur cantinière et leur rendre, tu ferais acte de justice. Salut et égalité. — Le directeur, C. Mouton. » Munis de cette lettre, les fédérés se retirèrent ; plusieurs d’entre eux restèrent dans le poste d’entrée à fraterniser avec les camarades, et des messagers partirent pour trouver Raoul Rigault, qui n’était ni au Palais de Justice, ni à la Préfecture, ni à l’Hôtel de Ville, ni au théâtre des Délassements-Comiques qu’il honorait souvent de sa présence. Où on le découvrit, l’ordre ci-joint, écrit au crayon sur le revers de la lettre de Mouton, le dit assez : « Ordre est donné au directeur de Saint-Lazare de mettre en liberté la citoyenne X…, cantinière au 228e bataillon. Procureur général de la Commune, Raoul Rigault. — Fait au 142e bataillon, à Montmartre, ce jourd’hui 22 mai 1871. » Cet ordre est un des derniers que Raoul Rigault ait donnés ; l’écriture en est mince, rapide et un peu heurtée.

Le 23, Mouton, dès la matinée, apparut sous un costume nouveau ; sa perspicacité lui avait fait comprendre que l’heure de jouer au soldat et au directeur était passée, et qu’il était humain en même temps que sage de devenir un chef d’ambulance. Croix de Genève au brassard, croix de Genève au bonnet, plus de ceinture rouge, plus de képi galonné ; on n’était qu’un infirmier ouvrant la prison et son cœur à toutes les infortunes. Le rez-de-chaussée de Saint-Lazare fut promptement organisé en ambulance ; les lits ne manquaient pas, ni les draps, ni le vieux linge : on n’avait qu’à puiser au magasin central qui est annexé à la maison.