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LA SANTÉ.

n’en manqua pas ; il fut impassible et d’une énergie que rien n’émoussa ; soit qu’il fût dans sa cellule, soit qu’il se promenât dans l’étroit préau gardé par deux fédérés marchant à ses côtés, la baïonnette au bout du fusil, il se montra tel qu’on l’avait vu dans la campagne de France, un homme d’une trempe fine et serrée, inaccessible à tout sentiment de faiblesse et supérieur aux évènements. Il savait, du reste, qu’on ne l’oubliait pas et que le gouvernement légal s’efforçait d’obtenir sa mise en liberté ; il en avait reçu l’assurance dans des conditions singulières. Désirant être rasé, il avait demandé un barbier ; on lui avait amené un vieux bonhomme nommé Lecœur, perruquier de son état, demeurant rue Ferrus, no 5, et faisant métier de barberot à l’hospice Sainte-Anne et à la prison de la Santé. C’était un ancien marin qui pendant longtemps avait été attaché à l’amiral de Mackau. Introduit dans la cellule du général Chanzy, sous la surveillance directe des fédérés, il pesta contre le jour qui était insuffisant, plaça, déplaça le général, finit par lui faire tourner le dos à ses gardiens et brusquement lui fourra le pouce dans la bouche, à la mode provençale, pour soulever la joue. Le général allait regimber, lorsqu’il sentit que Lecœur déposait une petite boulette de papier derrière ses dents inférieures. Lorsqu’il fut seul, il prit le papier, le déplia et lut : « Bon courage ! ça ne durera pas longtemps ; on s’occupe de vous. — Saisset. » Le général trouva le procédé ingénieux, mais l’espoir qu’on lui donnait le laissa insensible, car il attendait stoïquement l’heure de sa délivrance ; elle sonna enfin le 25 mars.

Le général Cremer obtint du Comité central un ordre ainsi conçu : « Le citoyen Duval mettra immédiatement le général Chanzy en liberté. Signé : A. Billioray, Babik, A. Bouit, A. Ducamp, Lavalette. » — Babik conduisit lui-même le général Cremer chez Duval, car on