Aller au contenu

Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
MAZAS.

un fou de plus à l’Hôtel de Ville, qui était une maison d'aliénés[1].

En cas d’échange de prisonniers, M. Bonjean eût-il recouvré la liberté ? Cela est douteux ; car dès le début son incarcération avait été considérée comme une victoire. Le lendemain de son arrestation, M. Paul Fabre, procureur général près la Cour de cassation, au risque d’être arrêté lui-même, avait été voir Raoul Rigault et avait réclamé l’élargissement du président. « C’est impossible, avait répondu Rigault. — Pourquoi ? — Votre Bonjean était sénateur. — Qu’importe ? répliqua M. Paul Fabre, vous commettez là une illégalité. » Rigault avait alors répété son mot favori : « Nous ne faisons pas de la légalité, nous faisons de la révolution. » On avait essayé d’obtenir pour M. Bonjean une faveur que l’on paraissait disposé à lui accorder, car on connaissait le caractère chevaleresque de l’homme. On lui eût permis de sortir sur parole pendant quarante-huit heures, afin qu’il eût le temps d’aller embrasser ses enfants et sa femme. Il réfléchit qu’un accident imprévu pourrait le retarder et lui donner l’apparence d’avoir manqué à ses engagements ; il refusa. Impassible, recevant la visite d’un ami qui avait pu obtenir l’autorisation de le voir quelquefois[2], affaibli, souffrant, mais conservant sa grandeur d’âme, il s’entretenait peut-être, dans la solitude de son cabanon, avec les âmes de Mathieu Molé et du président Duranti.

Le sort des otages allait changer ; Raoult Rigault, nommé procureur de la Commune, estima que Mouton était trop doux pour les détenus ; il le remplaça par un homme de son choix, sur l’inflexibilité duquel il pouvait compter, et il envoya à Mazas le serrurier Garreau,

  1. Voir Pièces justificatives, no  8.
  2. Voir Le Président Bonjean, otage de la Commune, par M. Charles Guasco. Paris, 1871.