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LA GRANDE-ROQUETTE.

neuf jours de prison cellulaire. » Celui qui se sentait humilié, étant le loyal soldat qu’il était, de se voir emprisonné comme otage et par ordre de la Commune, n’était point l’homme qu’il fallait pour l’entreprise que méditaient les surveillants.

Ceux-ci étaient décidés à jouer leur vie pour échapper aux horreurs dont ils étaient les témoins et dont on les rendait complices. Ils savaient qu’ils pouvaient tout redouter des fédérés dans le poste d’entrée, on venait de découvrir une caisse contenant une cinquantaine de bombes Orsini, engin de destruction des plus redoutables, que l’on jette à la main, et dont le premier essai fut fait contre Napoléon iii dans la soirée du 14 janvier 1858. Les surveillants s’étaient récriés en voyant cet amas de projectiles ; François lui-même, pour leur donner quelque satisfaction, avait fait mettre le capitaine Vérig en cellule pendant une demi-heure : punition arbitraire et dérisoire, qui laissa subsister toute inquiétude et ne rassura personne. Pinet, qui était à la tête du complot d’évasion, prit une de ces bombes et la mit dans sa poche, en se disant : « Ça peut servir ! »

Le soir, vers huit heures, ainsi qu’il avait été convenu, le maréchal des logis Geanty reçut la visite attendue. Pinet lui dit : « Eh bien ! qu’allons-nous faire ? » Geanty hocha la tête, il était perplexe et très ému ; il haussait les épaules avec indécision et ne pouvait se résoudre à répondre. Le surveillant insista ; le canon que l’on entendait gronder au loin, semblait appuyer ses paroles. Geanty écoutait, regardait fixement son interlocuteur comme s’il eût voulu lui arracher une résolution qu’il ne trouvait pas en sa propre énergie. Enfin il dit : « Non, c’est impossible ; ce serait trop périlleux, je ne puis exposer la vie de mes camarades à une telle aventure ; nous sommes de vieux