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LA GRANDE-ROQUETTE.

partir avant toi qui m’as sacrifié ta vie ; mais je ne me sens plus le courage de subir une nouvelle défaite après tant d’autres. Je t’embrasse mille fois comme je t’aime ; ton souvenir sera le dernier qui visitera ma pensée avant d’aller au repos. Je te bénis, ma bien-aimée sœur, toi qui as été ma seule famille depuis la mort de notre pauvre mère. Adieu, adieu, je t’embrasse encore. Ton frère qui t’aimera jusqu’au dernier moment : Ch. Delescluze. »

Des bruits contradictoires et mensongers, dont il convient de faire justice, ont couru sur la mort de Delescluze. Deux versions sont en présence qui ne sont pas plus vraies l’une que l’autre. On a dit que dans la journée du 25 mai, alors qu’il était réfugié à la mairie du xie arrondissement, Delescluze avait été assailli par des colonels, des commandants, des officiers de tout grade, des fonctionnaires de tout rang, qui étaient venus, avec des supplications et des menaces, lui demander de l’argent ; il aurait résisté aux importunités dont il était l’objet et se serait même emporté jusqu’à jeter les clefs de la caisse au visage des solliciteurs. Le fait est douteux, car ce jour-là même on distribua dans la mairie des sommes considérables à des officiers fédérés et à plusieurs membres de la Commune. Quoi qu’il en soit, Delescluze, désespéré, profondément dégoûté des convoitises dont il était le témoin, se serait levé en disant : « Il faut en finir ; quant à moi, j’ai vécu ! » Il serait sorti alors et tranquillement, comme s’il eût été à la promenade, aurait marché devant lui, sur le boulevard Voltaire, jusqu’à la place du Château d’Eau. Là il serait monté sur une barricade et y serait resté à découvert, semblable à une cible vivante, jusqu’au moment où un coup de feu le renversa.

Ce récit est trop traditionnellement révolutionnaire pour n’être pas suspect. On l’a encore enjolivé : « Le