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LA GRANDE-ROQUETTE.

la maison est pleine de munitions ! » Il y eut un recul instinctif de la foule ; on eût dit qu’elle était reprise d’indécision et que nul n’osait donner le signal. Un homme grimpa sur une charrette chargée de tonneaux — poudre ou vin — qui se trouvait à l’entrée du secteur. Il lut un papier qu’il tenait en main et parla. On applaudit. C’est alors que le bouvier Victor Bénot, colonel des gardes de Bergeret, incendiaire des Tuileries, se précipita hors d’une maison, en criant : À mort ! Une poussée formidable se fit, la barrière tomba et les otages, d’un seul mouvement, furent entraînés dans le terrain qui précédait le petit mur inachevé. La cantinière qui les avait guidés était descendue de cheval ; les femmes excellent aux actes de cruauté, qu’elles prennent pour des actes de courage. Elle porta le premier coup et tous les hommes qui étaient là devinrent des assassins.

Geanty était toujours en tête, — à son rang. — Il entr’ouvrit sa tunique et présenta sa poitrine ; un prêtre âgé se plaça devant lui et reçut le coup qui lui était destiné. Le prêtre tomba, et l’on vit Geanty encore debout, et découvrant sa poitrine ; on l’abattit. À coups de fusil, à coups de revolver, on tirait sur ces malheureux ; des fédérés accourus au bruit s’étaient perchés sur une muraille voisine et chantaient à tue-tête en faisant un feu plongeant. Debout sur un petit balcon en bois, Hippolyte Parent, fumant un cigare et les mains dans ses poches, regardait et regarda jusqu’à la fin.

Le massacre ne suffisait pas ; on inventa un jeu : on força les malheureux à sauter par-dessus le petit mur ; les gendarmes sautèrent ; on les tirait « au vol » et ça faisait rire. Le dernier soldat qui restait debout était un garde de Paris, beau garçon d’une trentaine d’années, qui sans doute de service à la Comédie-Française avait vu jouer le Lion amoureux de Ponsard ; du moins