Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/55

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à livrer bataille, car il sentait bien qu’il avait en main des forces inespérées. Ces forces, il les augmentait sans relâche ; il attirait à lui les soldats isolés appartenant aux corps francs qui avaient battu l’estrade en province pendant la guerre ; il se recrutait ainsi d’un grand nombre d’hommes dénués de préjugés, pour qui le temps des troubles est un temps de prédilection. Cependant quelques journaux demandaient, non sans raison, pourquoi l’on ne cherchait pas à rétablir l’ordre menace. Comme en France on excelle à la rhétorique, on appelait la butte Montmartre « le mont Aventin de l’émeute ». Ce souvenir du De viris n’éclaircissait pas la situation, qui semblait devenir de plus en plus sombre.

Les journaux révolutionnaires soutenaient un thème dont l’absurdité ne les choquait pas : « Les canons, ayant été payés à l’aide de cotisations recueillies parmi la population parisienne, appartiennent en droit à celle-ci » argumentation qui équivalait à dire que le matériel de l’État appartient à la population, parce que le matériel de l’État est payé par la population. Des articles violents étaient échangés de part et d’autre dans les journaux ; des députés harcelaient le gouvernement et le suppliaient d’en finir, coûte que conte. Les fédérés ricanaient en disant : « On veut nos canons ; eh bien ! qu’on vienne les prendre ! »

On raconte que, vers cette époque, M. Saint-Marc Girardin, sollicité par plusieurs de ses collègues de l’Assemblée nationale, fit une démarche auprès de son vieil ami M. Thiers, alors chef du gouvernement, afin d’obtenir quelques éclaircissements sur la conduite que le ministère comptait tenir dans cette circonstance. En sortant de la conférence, qui fut assez longue, M. Saint-Marc Girardin aurait dit a ses amis « J’ai vu M. Thiers ; il ne sait pas ce qu’il veut, mais il le veut énergiquement. » Nous ignorons si cette parole a été prononcée,