Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/76

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nez démesuré, crochu, dont les narines échancrées laissaient voir l’intérieur et qui donnait à toute sa physionomie l’apparence d’un vautour inquiet. Dès qu’il retirait son binocle, ses yeux convergeaient et lui faisaient une mine effarée qu’augmentait encore la pâleur de sa face. Atteint d’un tic nerveux qui agitait ses épaules d’un frisson perpétuel, il ne pouvait rester immobile et, malgré la raideur qu’il essayait d’imprimer à son attitude, il remuait sans cesse, comme s’il eût lutté contre une convulsion interne. C’était une torpille, m’a dit un homme qui l’a connu ; à côté de lui on avait froid. Il n’ignorait pas sa laideur, qui fut pour beaucoup dans sa violence. Un document, écrit par lui le 8 octobre 1862, alors qu’il n’était encore qu’un enfant et qui fut trouvé à son domicile, ne laisse aucun doute à cet égard et mérite d’être cité tout entier :

« Inconvénient d’une petite taille et des ridicules : J’ai le malheur d’avoir un nez passablement long ; personne ne s’imaginera jamais combien jusqu’à présent il m’a occasionné de désagrément ; mais il faut dire aussi que ma petite taille, la croissance de mes moustaches, y ont un peu contribué. Dans la rue, on se retourne pour bien m’observer, on sourit, les gamins se moquent de moi et me donnent des sobriquets ; aux écoles où j’ai été, j’ai toujours eu des surnoms tels que : Fée Carabosse, Maréchal Nez. Quelquefois je ne supportais pas ces interpellations ; alors une querelle surgissait, qui finissait par quelques horions donnés et reçus des deux côtés. Je suis aussi, chez mes parents, la risée des personnes qui viennent les voir ; chez mon patron, mon physique n’étant pas favorable, on ne peut s’imaginer que je vaille quelque chose ; ne représentant pas, on se figure que je suis sans capacité aucune. Lorsque je suis en société avec des personnes instruites, de crainte de faire des fautes de langage, je de-