Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/77

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viens timide, je ne puis parler ; alors je bredouille, ce qui n’est pas un bon moyen de prouver mon intelligence. Outre cela, je suis mal vêtu, ce qui me donne l’air emprunté et gauche ; je suis orgueilleux ; alors je me redresse et j’ai tout à fait l’air d’une caricature. Enfin, pour finir, j’ai des pensées fort au-dessus d’un jeune homme de mon âge ; je veux paraître sérieux et sévère, et tout cela ne cadre pas avec ma figure de Polichinelle. Allons, pauvre ami, sois fort, dédaigne les mauvaises paroles qu’on te dira ; aie du cœur et de l’énergie, tu parviendras et personne n’aura rien à te réclamer. Il existe un proverbe à Paris où il est dit : « Ceux qui réussissent ont toujours raison ; ceux qui n’arrivent pas, toujours tort ; » tache que la première partie d’icelui soit vraie pour toi ! »

Rien n’est plus explicite que cette confession. Ce fantoche, fatigué de faire rire, voulut faire peur ; se sachant grotesque, il rêva d’être terrible, et le fut. Il y eut des aliénés parmi ses proches, et on peut admettre qu’il n’était pas sain d’esprit. Son père, ancien cocher de bonne maison, retiré avec le fruit de ses économies, l’avait fait élever chez les frères de la doctrine chrétienne, et ensuite chez un sieur L… dont la pension fut fermée à cause de l’enseignement ultramatérialiste que l’on y distribuait. Ses « études » terminées, Th. Ferré entra comme clerc ou employé comptable chez un agent d’affaires. C’est là que la Commune le trouva. Il avait déjà quelque notoriété parmi les révolutionnaires. Lors de la manifestation Baudin, au cimetière Montmartre, il s’était juché sur une tombe et avait crié : « La Convention aux Tuileries ! La Raison à Notre-Dame ! » Le 6 janvier 1869, à une réunion au cabaret du Vieux-Chêne, rue Mouffetard, il avait dit : « La bourgeoisie vit des sueurs du peuple… La force, qui nous opprime aujourd’hui, nous pour-